Un mot pour un autre

texte Jean Tardieu
mise en scène Sylvain Maurice

Une petite forme pour tourner dans les quartiers de Besançon.

Entretien avec Nicolas Laurent (juin 2021)



Note d'intention
L’histoire des Centres dramatiques nationaux (réseau dont fait partie le Nouveau Théâtre) est inséparable d’un projet d’aménagement du territoire. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les théâtres sont rares dans les villes moyennes. Et quand ils existent, ne fonctionnent pas, ou peu : quelques tournées parisiennes (souvent du vaudeville ou de l’opérette) viennent agrémenter en de rares occasions le quotidien. En dix ans, les villes vont s’équiper : des équipes s’implantent, des structures, dont certaines dotées de moyens importants, voient le jour. C’est la naissance des premiers Centres Dramatiques Nationaux. Ils sont d’abord nomades : ils jouent leurs spectacles dans les salles des fêtes et les foyers ruraux. Puis les équipes se sédentarisent et le « réseau » se complexifie grâce à l’action de Malraux, avec la création des Maisons de la culture, puis des Centres d’action culturelle, etc. Aujourd’hui, après un demi-siècle de politique culturelle, le bilan est impressionnant. Pourtant, il existe toujours des petites villes et des villages où le théâtre ne va jamais (ou presque). Et à l’intérieur des villes, la ségrégation sociale se double souvent d’une ségrégation culturelle. En sillonnant Besançon avec Un mot pour un autre, nous souhaitons donner à chacun la possibilité de passer une soirée au théâtre. Sortir des murs du théâtre est un acte militant : aller au devant des gens et rencontrer un nouveau public. Avec la volonté de partager, le désir de se réunir dans le temps de la représentation, toutes différences sociales et culturelles abolies.
Sortir des murs du théâtre est aussi une façon de retrouver l’enfance de l’art. Itinérant, le théâtre ne peut se reposer sur le décorum, sur l’illusion. Quelques projecteurs et accessoires doivent suffire pour susciter l’imaginaire du spectateur. Et la fiction va naître du rapport au public : acteurs et spectateurs réunis pour tenter ensemble « d’y croire », sans artifice inutile. L’enfance de l’art donc, à plusieurs titres : comme les enfants qui se déguisent et font un spectacle ; comme le conte, art originaire et archaïque qui n’a que la parole pour construire l’illusion; comme le théâtre de tréteaux enfin, sur les marchés, les foires, les routes, le jeune Molière ou la commedia dell’arte, un théâtre naïf et artisanal.
Le choix des courtes pièces de Tardieu s’est fait naturellement car elles représentent pour moi une certaine idée d’un théâtre ludique, intelligent et drôle. Tardieu joue des conventions théâtrales, des situations archétypales comme le vaudeville, pour mieux les subvertir. Dans ces pièces (au moins dans celles que nous avons choisies), le sens s’efface derrière des jeux de forme jubilatoires, où le langage est l’objet de toutes les expériences. Les pièces de Tardieu se rattachent au théâtre de l’absurde, mais sans la dimension existentielle : Tardieu n’a pas la noirceur, le pessimisme de ses contemporains Beckett ou Ionesco. Au fond, c’est la musique qui l’intéresse. En cela, il est très moderne : son œuvre préfigure l’idée que le son a du sens. Moins formaliste et « structural » que Queneau, Pérec et l’Oulipo, on peut aussi voir Tardieu comme un ancêtre de Novarina : il construit une langue poétique et imagée. À certains égards, son théâtre est davantage à écouter qu’à voir. Contemporain des grandes innovations de la TSF (dramatiques radiodiffusées, début des laboratoires de recherche musicale et de la musique concrète), Tardieu est un mélomane averti. La Sonate ou les trois messieurs, par exemple, décrit très précisément le déroulement d’une sonate. L’extraordinaire est qu’il rend concret ce qui est abstrait, sans jamais être explicite ou figuratif!
Tardieu avait qualifié son œuvre dramatique de « théâtre de chambre ». C’est évidemment une référence à la musique. Mais cela indique aussi qu’il envisage le théâtre à l’échelle d’une chambre (on pense d’ailleurs à Michaux) : un petit espace, un lieu intime, qui se veut en rupture avec un « théâtre-cathédrale ». On sent également l’influence du cabaret, version Rive Gauche. Son théâtre nécessite une grande proximité avec les spectateurs. Notre spectacle se construit à partir de cette proximité, sous la forme d’une conférence sur le langage, conférence absurde bien entendu, une situation empruntée à un personnage de Tardieu, le Professeur Frœppel. Nous cherchons davantage à nous saisir de l’esprit que de la lettre : c’est à notre tour de soumettre Tardieu à des expériences, des consignes « à la Tardieu », de le « déconstruire ». Nous inventons notre propre langage scénique en hommage à « Monsieur Monsieur », alias Jean Tardieu. Sylvain Maurice

Générique >

avec Valérie Beaugier, Nadine Berland, Gilles Ostrowsky

production Nouveau Théâtre CDN de Besançon et de Franche-Comté
textes publiés aux éditions Gallimard et en Folio
création en 2005
photos © Éric Derval

Bonus >

Nouveau Journal n°7
extrait.nj7.pdf